INTERVIEW
FELIPE MAIA FERREIRA

INTERVIEW - FELIPE MAIA FERREIRA




Felipe Maia Ferreira est un jeune chercheur à l’EHESS (Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales) qui travaille sur l’essor des musiques électroniques au Brésil et leur appropriation. Nous vous proposons un court entretien avec lui sur la direction et l’enjeu de ses recherches.

Comment définirais-tu le genre de musique que tu étudies ?

Mes recherches portent sur les musiques électroniques des banlieues de Paris et São Paulo, les plus grandes villes de France et du Brésil. Cette catégorie a une gamme assez vaste de genres ou de formes d'expression, mais lorsqu'on parle des machines, des logiciels et des ordinateurs dans ces quartiers, on trouve un carrefour global, surtout à travers le hip hop. Le beatmaking, le ragga, la trap, l'afrotrap, les scènes ouvertes et, dans le cas de São Paulo, le funk héritier du baile funk du Rio de Janeiro sont des catégories qui font partie de ses études.


Comment sont perçus les autres genres de musique électronique au Brésil par rapport à celui que tu étudies ?

En gros, le funk est né au sein des cultures populaires de Rio de Janeiro à la fin des années 70. Le nom est venu du funk de James Brown, Earth, Wind & Fire, Tom Browne, etc., le type de musique qui avait été le plus célèbre aux bals populaires à cette époque. Depuis, le funk a créé des caractéristiques propres telles que les figures rythmiques d'accentuation au contretemps et les paroles assez liées aux questions comme la sexualité, les soirées ou même le crime. De la même façon, il a fait plusieurs va-et-vient entre le mainstream et l'underground, entre la conservation des aspects fondamentaux et des transformations de l'industrie musicale. Cela dit, je croix qu'il y a plus de cinq ans que le funk est vu comme une forme de musique électronique au Brésil. Le pays a une grande histoire des genres déjà connus de cette catégorie, que ce soit le Drum'n'Bass dont l'essor date des années 90 avec des DJs comme Mau Mau, Patife et Marky, que ce soit à l'arrivée des grandes festivals aux années dérnières tel que le Tomorrowland ou l'EDC. Le funk arrive dans ce métier en y ajoutant un air jusque-là inexploré à travers des nouveaux DJs et producteurs.

L'écoute de cette musique est-elle limitée à une population en particulier ?

Pas forcément. Aujourd'hui, le funk fait partie de la société brésilienne ainsi que le samba ou le forró qui sont, à la base, deux genres des contextes populaires et marginalisées. Pour chaque endroit, le funk trouve une branche spécifique, que ce soit des paroles moins explicites ou des percussions plus remarquables. Pour ce sujet je crois que le documentaire de Boiler Room sur le funk de São Paulo est assez intéressant. Par contre, je pense que l'innovation dans ce genre sera encore exclusive aux populations marginalisées ou aux artistes qui n'ont pas peur d'essayer des nouvelles productions avec les figures rythmiques, les paroles, les soirées et, bien sûr, la technologie.

Quel type de constantes rythmiques ? Quel héritage d'autres musiques du monde peut-on trouver dans celle que tu étudies ?

La constante rythmique est surtout l'accentuation du contretemps, le changement de timbres des percussions et le jeu harmonique entre le chant et la base sonore. Dans ce cas, le tamborzão, c'est-à-dire, le gros tambour, fonctionne comme la pierre angulaire du genre. En ce qui concerne les influences on peut dire qu'elles sont diverses. On peut les inscrire dans l'influence venue des pays africains par le biais de l'esclavagisme, mais elle est déjà mise en évidence dans la figure rythmique du tamborzão.

Qui sont les jeunes producteurs, par qui et dans quelle mesure sont-ils reconnus ?

Je crois que les producteurs qui font les musiques les plus intéressantes dans le funk aujourd'hui peuvent être divisés en deux catégories : ceux qui ne font que du funk et ceux qui l'utilisent en tant que raccourci esthétique et discursif. Le premier groupe est assez populaire, mais leur public n'est pas assez diversifié ; le deuxième groupe atteint un public plus diversifié, mais pas forcément populaire. Pour la première catégorie, je dirais ManoDJ, DJ R7, DJ Pereira, DJ Rhuivo et DJ Yuri. Pour le deuxième, Leo Justi, Omulu, Marginal Men, Kojack et Carlos.

Par quel biais ce type de musique arrive-t-il ailleurs dans le monde ?

Dans les années 2000, il y avait un ensemble de pratiques, formes et acteurs culturels qui avaient fait de cette musique un vrai genre dans les quartiers populaires du Rio de Janeiro. À mesure que ce répertoire sort de son berceau, que ce soit dans les émissions de télé ou dans les clubs des quartiers riches, on voit une première vague du funk dans le monde. En effet, des DJs comme Sanny Pitbull et Marlboro sont parmi les pionniers dans ce mouvement. Ce qu'on voit ensuite c'est qu'internet joue le rôle de moteur pour l'exportation de ce genre. Entre 2005 et 2010, le genre fait une sorte de tour entre les clubs de l'Europe et des États Unis apporté par des DJs, disons, néophytes. Le plus célèbre est Diplo. Il a même vécu en Rio de Janeiro avec l'artiste M.I.A. pendant quelques mois. Conçu à la fois comme appropriation culturel ou pratique habituel, ce procédé est établi après les années 2010. Aujourd'hui, on voit des producteurs et artistes internationaux tels que Sango, LSDXOXO et Elliphant qui utilisent le funk comme outil esthétique ou même discursif. L'année 2010 est aussi le moment où le funk arrive de façon la plus prégnante dans les banlieues de São Paulo.



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